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DERNIER NOËL AVEC PAPA EN 1959

 

Fin novembre 1959, j'avais dix ans et Yves en avait cinq. Ce jour-là maman Yves et moi sommes allés en ville pour faire quelques achats. Sur le chemin du retour nous nous sommes arrêtés chez Payot, la grande librairie rue du Marché ou nous avons acheté un calendrier de Noël. Chaque année nous en recevions un et c'était toujours un grand plaisir d'ouvrir chaque jour une des fenêtres pour voir quel dessin il y avait en dessous. Ca nous aidait aussi à voir les jours passer et nous rapprochait plus vite de Noël.

Ces 24 jours depuis début décembre jusqu'à Noël étaient toujours très remplis, nous faisions des cadeaux pour tout le monde, en général des travaux manuels avec l'aide de maman, des collages ou des cartes de voeux dessinées et coloriées. Maman était formidable, elle savait tout faire et avait de merveilleuses idées de cadeaux inédits et spéciaux. On faisait des animaux avec des marrons et des allumettes, des découpages pour faire des napperons, différents objets avec des boites de toutes sortes que nous décorions, des collages de feuilles et autre matériaux, bref, toute une collection de cadeaux originaux pour tout le monde.

Pour moi comme j'étais à l'école j'attendais les vacances avec grande impatience. Une semaine avant Noël nous commencions à faire des biscuits, de la confiture, des gâteaux, tout fait maison bien sur. Maman préparait la pâte et Yves et moi découpions les biscuits à l'aide de différentes formes en fer blanc que maman gardaient précieusement pour cette occasion. Nous y passions des heures chaque jour et remplissions boîte après boîte de biscuits. La maison était remplie d'odeurs qui donnaient l'eau à la bouche et à vrai dire, nous en goûtions tellement qu'aux repas nous ne pouvions plus rien manger!

Comme chaque année maman faisait aussi des confitures avec les fruits du jardin de Nyon. D'abord elle nettoyait les fruits, les préparaient pour la cuisson puis elle les pesaient et les mettaient dans une grande casserole. Elle y ajoutait le même poids de sucre et parfois d'autres ingrédients comme de la cannelle ou de la vanille. Cela restait sur le feu pendant plusieurs heures et pendant ce temps maman faisait bouillir les pots qui allaient être remplis avec les confitures. J'aimais beaucoup l'aider et j’avoue que plus de fruits passaient dans mon estomac que dans la casserole!

Yves et moi savions que papa et maman avaient acheté des cadeaux pour nous mais nous n'avons jamais trouvé ou ils les cachaient. Cette année-là Yves avait demandé un train électrique et des livres et moi je rêvais de nouveaux patins à glace et de livres aussi bien sur.

Cela faisait plusieurs mois que papa était malade, il avait été hospitalisé à l'hôpital "La Lignère" près de Nyon, nous étions allés lui rendre visite plusieurs fois mais il était enfin rentré à la maison. Comme il avait du diabète maman lui faisait des repas spéciaux que nous partagions avec lui. J'adorais le pain pour diabétiques, il avait un goût spécial et c'était celui que je préférais, je n’ai jamais retrouvé ce pain malgré bien des recherches.

Trois jours avant Noël maman, Yves et moi sommes allés à la Plaine de Plainpalais acheter le sapin de Noël. Nous en avons trouvé un très joli, pas trop grand mais quand même assez haut, plus d'un mètre cinquante puisqu'il me dépassait de bien plus d’une tête. Ca n'a pas été une petite affaire que de le ramener à la maison mais nous y sommes arrivés. En route nous nous sommes arrêté chez Mercure pour acheter les figurines de chocolats à pendre sur l'arbre. Arrivés à la maison nous avons mis l’arbre dans le salon à sa place habituelle sur une petite table recouverte d'une belle nappe blanche. Maman et moi sommes montées au grenier pour chercher les boîtes de boules de Noël, les guirlandes et toutes les autres décorations pour l'arbre. Il y en avait plusieurs et nous avons du faire deux voyages avec l'ascenseur.

J’avais toujours voulu aider à décorer l'arbre mais c'était toujours papa et maman qui le faisaient mais cette année ils m'ont laissé les aider et j'étais enchantée. La veille de Noël au soir nous nous y sommes mis  au son de chants de Noël à la radio. Papa était trop fatigué alors il est resté dans son lit qui était au salon contre le mur du fond. Il nous disait ou mettre telle ou telle boule et comment enrouler les guirlandes. Quand toutes les décorations ont été mises nous y avons ajouté les bougies et le sapin était prêt pour le lendemain.

Comme chaque année papa et maman avaient invité tante Sylvia, tante Louise et oncle Georges, plus encore quelques personnes, je ne me rappelle plus tellement qui mais il me semble qu’il y avait tonton Menio ainsi que tante Grittly et d'autres encore. Papa avait décidé de cuisiner un peu s'il en avait la force et de laisser maman terminer quand il n'en pourrait plus. Ils ont tous les deux passé presque toute la journée à la cuisine, mon rôle à moi était de jouer avec Yves pour l'occuper, de l'emmener faire une promenade au parc des Bastion, puis vers quatre heures de lui faire manger son goûter puis prendre son bain et l'aider à s'habiller.

Les invités devaient arriver vers six heures et j'ai eu juste le temps de prendre moi-même mon bain et de m'habiller pour la fête. Un peu avant six heures maman et papa nous ont demandé de rentrer dans notre chambre et de ne pas en sortir jusqu'à ce qu'ils nous appellent. Nous savions bien sur que c'était pour qu'ils puissent mettre les cadeaux sous l'arbre et allumer les bougies. C'était toujours un moment magique quand ils nous appelaient et que nous ouvrions la porte du salon, je sentais mon coeur battre très fort à chaque fois. Les lumières étaient éteintes et seules les bougies du sapin étaient allumées ce qui donnait une impression féerique. Les cadeaux étaient répandus sous l'arbre, des piles de boîtes de toutes grandeurs dans des papiers de fête.

Quand les premiers invités sont arrivés nous nous sommes tous mis au salon pour prendre l'apéritif après que chacun ait ajouté ses cadeaux sous l’arbre. Comme à chaque fête j'ai eu droit à un canard, c'est à dire un morceau de sucre trempé dans une des liqueurs que les adultes buvaient. Même Yves y a eu droit mais il a fait la grimace et dit que l'alcool, ce n'était pas pour lui. Tout le monde a bien ri mais comme d'habitude Yves parlait très sérieusement et ne voyait vraiment pas pourquoi cela faisait rires les adultes !

Quand tout le monde a eu son verre à la main papa a porté un toast pour la fête et tous ont bu leur verre puis Yves et moi avons reçu la permission de distribuer les cadeaux. Comme chaque invité avait apporté des cadeaux et les avaient mis sous l'arbre il y en avait des piles. On se partageait le travail avec Yves, moi je lisais la carte accompagnant un cadeau puis disais à Yves à qui l'apporter. Quand nous avons fini de tous distribuer le tapis du salon était jonché de papiers de toutes les couleurs et de boîtes vides et tout le monde admirait les cadeaux des uns et des autres. Cette année-la Yves et moi avons reçus exactement ce que nous avions demandé avec en plus quelques habits. J'ai aussi reçu un journal intime avec un stylo Parker que je convoitais depuis longtemps ainsi qu’un peu d’argent à mettre dans ma tirelire.

Papa, oncle Georges et  tonton Ménio ont aidé Yves à monter son train électrique, il y avait assez de rails pour faire un grand huit, avec une belle locomotive à vapeur et plusieurs wagons. Il y avait aussi des signaux, une gare et un tunnel et bien sur la commande électrique. Des que les rails ont été prêts et le train au grand complet mis sur eux Yves a pu appuyer sur le commutateur pour le faire démarrer, j’étais un peu jalouse de ne pas être la première a le faire…

Apres avoir vérifié que tout marchait bien nous avons passe à table dans la salle a manger. Le repas était parfait comme d'habitude et la table resplendissait de toute l’argenterie. Papa avait fait son fameux rôti de veau et les pommes de terres de la famille, il y avait aussi des légumes et de la salade bien sur. Comme entrée il avait fait des vol-au-vents aux champignons délicieux. J'ai eu le droit de tremper mes lèvres dans le verre de vin de papa, ce que j'adorais. Apres le plat principal nous avons mangé des fromages puis maman a mis sur la table le dessert que tante Louise avait apporté, un immense gâteau forêt-noire comme d’habitude et la bûche de Noël de tante Sylvia, heureusement cette fois tante Grittly n'avait pas apporté d'ananas, nous n'aurions pas pu tout manger, elle avait apporté du vin a la place.

Des que le repas a pris fin nous sommes tous repassés au salon pour le café et les liqueurs et Yves et moi avons reçu la permission de jouer avec nos cadeaux. Nous avons passé des heures ce soir-la a bâtir une ville avec nos vieux plots en bois tout autour et au milieu des rails avec le train qui tournait et tournait autour de nous sans arrêt. J'ai aussi essayé mes nouveaux patins à glace, de magnifiques patins professionnels tout blancs. Ils m'allaient à merveille et si j'avais pu j'aurais été le soir même à la patinoire pour les essayer.

Je me rappelle particulièrement bien un moment donné, papa était assis sur une des chaises près de la cheminée et parlait avec les invites, je me suis mise derrière lui et l'ai coiffé avec un peigne que j'avais reçu en cadeau. Il n'avait plus de cheveux sur le haut de la tête, seulement sur les cotés, et je les ai coiffés pendant un long moment. Je me rappelle encore aujourd’hui la forme de sa tête, la couleur et la texture de ses cheveux, je me rappelle aussi que je trouvais drôle qu’il laisse pousser une longue mèche sur le côté gauche qu’il tirait sur la tête jusqu’au côté droit, pour qu’on voit moins sa calvitie, moi je trouvais qu’il était très beau même sans cheveux.

A minuit je me suis mise au piano et nous avons tous chanté les chants de Noël ainsi que ceux de Chanouka que nous fêtions toujours en même temps, puis les invités sont repartis peu à peu et nous sommes tous allés nous coucher. Maman a éteint les bougies de l'arbre, j'adorais l'odeur de l'appartement après l'extinction des bougies, c'était l'odeur de Noël, de la joie, une odeur que je me rappelle encore aujourd'hui avec émotion malgré qu'ici en Israël je ne l'ai jamais sentie puisque je n'ai qu'un arbre de Noël artificiel et qu'on ne peut pas y mettre de vraies bougies…

C'était le dernier Noël que nous avons fêté avec papa, il est mort trois semaines plus tard dans la nuit du 14 au 15 janviers 1960 à 3h du matin.

 

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