La vie juive en Alsace
D'apres les souvenirs de mon
beau-pere
Fernand (Nenand) GOLDSCHMIDT
Fernand (Nenand) Goldschmidt 1915/1995 et
ma mere Hilde Cerf-Goldschmidt née
Graber 1922/1990
Entre 1871 et 1918, alors que les alsaciens appartenaient à l'allemagne mais sans pour autant être des citoyens à part entière, les familles bourgeoises et notamment juives parlaient souvent le français. Ils avaient en général des proches parents en France et y envoyaient souvent leurs enfants dans des internats. Dans les familles plus modestes et moins lettrées ils essayaient également de s'exprimer en français et remplaçaient les mots qui leur manquaient par des mots allemands, ce qui créait des phrases très originales comme par exemple: "va chasser le Guggel du jardin sunscht macht er mer ufs légume!" ce qui se traduit par "va chasser le coq du jardin sinon il me "fait" sur les légumes!". Mais la langue commune à tous les juifs alsaciens était le Yiddish alsacien, une sorte de patois judéo-allemand composé de mots allemands, français, hébreux et araméens, qui est malheureusement aujourd'hui en voie de disparition. Nos grands-parents le parlaient encore à la maison ainsi que nos parents et j'ai même retrouvé quelques lettres et cartes postales écrites par eux en Yiddisch. Malheureusement les nouvelles generations ne le parlent pratiquement plus.
Comme il leur était interdit de vivre dans les villes, les juifs alsaciens habitaient pratiquement tous dans des villages et dans plus d'un on trouvait une "Judengasse" ou une "Judenstrasse", c'est à dire une ruelle ou rue des juifs. Ce n'est qu'au XIXème siècle après le changement des lois, alors que la population de ces villages devenait trop dense et que la situation économique était restrainte, qu'ils commencèrent à s'installer dans les grandes villes comme Mulhouse, Strasbourg et Colmar ou dans les territoires voisins comme le reste de la France ou la Suisse.
Les juifs d'Alsace étaient en majorité pauvres et travaillaient comme fripiers, petits artisans ou colporteurs qui faisaient du porte à porte de village en village en lançant leur fameux: "nix zu handle?", c'est à dire "rien à vendre? Il y en avait quelques uns qui s'étaient enrichis en étant banquiers, marchands de chevaux ou de bétail, prêteurs sur gage ou commerçants. Depuis la deuxième moitié du XIXème siècle on trouvait de plus en plus de médecins, pharmaciens, avocats et plusieurs devinrent fabriquants, l'Alsace étant un pays très industrialisé, et fondèrent de petites et grandes entreprises. Les marchands de bétail, "peimess hendler", et de chevaux cultivaient en général aussi leur champs et, suivant la région, leurs vignobles.
Les juifs alsaciens étaient comme leurs compatriotes chrétiens des gens assez rudes et parfois même bagarreurs, les histoires qui se racontaient dans la famille étaient innombrables sur ce sujet! Ils mangeaient bien et savaient apprécier un bon vin: les merveilleuses recettes que nous dégustons aujourd'hui encore et qui nous proviennent de cette époque si ce n'est d'avant sont là pour le prouver... Il n'est pas difficile de s'imaginer leur genre de vie en lisant quelques livres sur l'Alsace du XVIIéme au XIXéme siècle.
La vie quotidienne n'était pas toujours facile à cette époque et encore moins pour les juifs. Ce n'est que bien tard que les juifs eurent le droit d'acheter leur maison; aujourd'hui encore on peut de temps en temps reconnaître une maison appartenant jadis à des juifs à la profonde entaille en diagonale en haut du montant droit de la porte où l'on fixait la Mezouza, ce petit rouleau de parchemin dans son étui de bois ou de métal qui caractérisait la volonté de l'habitant de cette maison à sanctifier le nom de Dieu. Leur vie était profondément religieuse, parsemée de rites, prières, pratiques et recettes populaires. Pour la majeure partie d'entre eux qui travaillaient loin de la maison toute la semaine, le Shabat et les fêtes étaient des jours consacrés à la prière et au repos. A ces occasions ils s'habillaient de leurs plus beaux habits et a leur retour de la synagogue se retrouvaient en famille pour manger les repas de fête dans la maison familiale.
Dans les derniers siècles il y eut des épisodes sanglants mais les juifs alsaciens ne connaissaient pas la peur éternelle que provoquaient les pogroms dans les pays de l'est, et depuis la révolution française ils étaient censes etre citoyens de plein droit. Ce n'est pas un hasard que la situation fut plus calme dans certain villages qu'ailleurs, mais tout simplement la connaissance que les chrétiens avaient de la vie religieuse et familiale de leurs voisins juifs et de ce fait l'absence de mystère et de peur. Il y avait souvent autant ou même plus de juifs que de chrétiens dans quelques villages et la vie quotidienne des deux y était tres mêlée. Pour ne donner qu'un exemple; comme beaucoup de juifs voyageaient très souvent d'un village à l'autre pour leur travail, dans plus d'une auberge chrétienne il y avait une poêle réservée aux juifs pour leur cuisine casher et dans laquelle le dernier qui s'en servait faisait un X a la craie pour que les chrétiens la reconnaissent et ne s'en servent pas. Ce n'est donc pas étonnant que parmis les premiers colons juifs en Palestine il y eu si peu d'alsaciens puisqu'ils se sentaient et se sentent aujourd'hui encore bourgeois français.
Jusqu'au début du XIXème siècle, il n'y avait pas encore de noms fixes et souvent les juifs ajoutaient à leur nom de naissance le nom de la localité dont ils étaient originaires ou de l'endroit où ils habitaient, celui de leur profession ou encore du symbole de leur tribu biblique. Ce n'est qu'apres 1800 que chaque famille a ete obligee de prendre un nom de famille "fixe" qui se transmettait aux descendants.
Sous la domination allemande après 1871 les alsaciens eurent à faire un choix; ils pouvaient rester en Alsace et devenir sujets allemands ou alors opter pour la France ou ailleurs, mais s'ils quittaient l'Alsace ils ne pouvaient y revenir qu'un jour ou deux par mois! Beaucoup choisirent de s'expatrier vers la France, la Suisse, les Etats-Unis ou ailleurs.
Pendant la Shoah de nombreux juifs
se sont refugies en Suisse et ailleurs, malheureusement d'autres n'ont
pas eu cette chance et ont ete deportes. La grande majorite n'en sont pas
revenus. Parmis ceux qui ont reussis a s'echapper, une partie est revenue
en Alsace apres la fin de la guerre et y sont restes. Il y a aujourd'hui
encore des communautes Israelites florissantes en Alsace.