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YVAN DREYFUS
Ce qui suit est ce que mon cousin Charles de Paris, nommé comme son oncle Charles Dreyfus, a écrit à la mémoire de son père Yvan Dreyfus. C’est Yvan qui fut à l'origine de la rencontre entre son oncle Charles Dreyfus et Chaim Weitzman.
Ivan, âgé d'à peine onze ans, partit pour l'Angleterre où s'était installé son frère le Docteur Charles Dreyfus, qui avait trente-sept ans de plus que lui. Ayant appris l'anglais et rattrapé son retard en trois ans, pour se familariser avec les concours Yvan se présenta à l'âge de quinze ans au concours d'entrée du collège de "Schrewsbury"; à l'étonnement général il y fut admis dans un très bon rang et fut ainsi le plus jeune élève jamais admis à ce collège. Il fut ensuite admis au "New College" d'Oxford où il prépara le concours du "Civilian service" des Indes qu'il réussi brillament. Avant son départ pour les Indes il vint voir sa mère qui habitait alors à Nyon en Suisse, mais celle-ci, très âgée, le supplia de ne pas "partir chez les sauvages" et de revenir en Suisse. Il céda à sa demande instante, revint à Nyon et décida de faire des études de médecine à la faculté Genève, très réputée.
C'est là qu'il fit connaissance chez le Grand-Rabin Wertheimer d'un jeune chimiste russe Chaim Weizmann, qui avait étudié en Allemagne et perfectionnait ses connaissances à l'université de Genève.
Ayant terminé ses études, Weizmann cherchait vainement une situation et Yvan le présenta à Charles venu voir sa mère en Suisse. Ce dernier lui proposa un poste en Angleterre dans ses usines et le ramena avec lui à Manchester. Devenu chimiste à la "Clayton Chemical Industrie" il y réussi très brillamment et y resta de 1904 à 1916. Au moment de la déclaration de guerre en 1914, il était directeur de la fabrication des explosifs, poste qui devenait d'une importance capitale pour un pays en guerre. Ses connaissances approfondies dans ce domaine, dues à ses études en Russie, en Allemagne, en Suisse et en Angleterre, le firent nommer en 1916 directeur des laboratoires de l'Amirauté Britanique, poste qu'il occupa jusqu'à la fin de la guerre. Voulant manifester à Weizmann la reconnaissance de l'Angleterre pour l'aide qu'il avait apportée à l'effort de guerre, Arthur Balfour, Premier Lord de l'Amirauté devenu Ministre des Affaires Etrangères, lui demanda quelle décoration où récompense il désirait. Weizmann, fervent sioniste, lui demanda d'étudier la création d'un Foyer National Juif en Palestine, que les anglais étaient justement en train de libérer de la domination turque: la "Déclaration Balfour" fut proclamée le 2 novembre 1917…
La suite est connue de tous, mais qui saura mesurer l'importance du "petit coup de pouce" donné à l'histoire par Yvan Dreyfus recommandant un jeune chimiste inconnu à son frère Charles?
Yvan termina brillamment ses études à la faculté de Genève où il fut successivement Interne des hôpitaux, Médecin assistant puis Agrégé. Il poursuivait des recherches sur le traitement de la syphilis, en particulier par le "606" Arséno-benzol, découvert par un juif allemand, Erlich.
Yvan avait ramené de son séjour à Oxford le goût du sport, en particulier du football. Il joua dans l'équipe de Genève, le "Servette Football Club" et en fut le capitaine de 1907 à 1914. Il conduisit très souvent son équipe à la victoire, fut plus de vingt fois international dans l'équipe de Suisse et fut surnommé "le champion des goals, le goal des champions".
Il posa même un problème aux autorités suisses, certaines notabilités de Genève, ville puritaine, trouvant indécent qu'un médecin des hopitaux se montre sur les stades en culotte courte!! Finalement le conseil d'état se saisit de la question et Yvan reçu l'absolution des ministres…
Il devait d'ailleurs rejouer au football beaucoup plus tard à Paris, dans des circonstances étonnantes: le gardien de but du C.A.P., Cercle Athlétique de Paris, avait une pleurésie juste avant le quart de finale de la première Coupe de France de l'après guerre en 1920. Le président du C.A.P. qui était un de ses amis et l'avait vu jouer en Suisse le supplia de remplacer le gardien au pied levé. Malgré son âge et son manque d'entrainement il fit un match remarquable et le C.A.P.gagna le quart de finale puis le demis finale. Opposé en finale au club du Havre il fit plusieurs arrêts extraordinaires et, après un match âprement disputé, le C.A.P. gagna la finale 2 buts à 1 le 2 mai 1920. La coupe lui fut donnée; il vida la bouteille de champagne dans cette coupe et l'offrit à sa femme enceinte, innaugurant ainsi la tradition de boire dans la coupe après la victoire.
Ayant terminées ses études en 1914, il songeait à s'installer à Genève mais la première guerre mondiale éclata et comme il avait la double nationalité, il opta pour la France et fit toute la guerre comme médecin.
En 1919 il fit une rencontre qui décida de son orientation, celle de Gaston Barth. Celui ci avait créé un centre pour traiter la tuberculose, fléau terrible à l'époque, et dont était atteinte sa jeune femme. On y appliquait un traitement nouveau découvert par un médecin autrichien, qui devait faire disparaître la "tueuse de jeunes". Hélas la méthode se révèla totalement inéfficace et Madame Barth est morte.
La fondation Barth, magnifiquement installée et équipée n'avait plus de raison d'être, mais heureusement Yvan sut convaincre Gaston Barth de mettre ses locaux et son équipement à sa disposition pour y créer un "Cabinet de Groupe" réunissant des spécialistes de toutes les disciplines pour obtenir une médecine de qualité supérieure; les avantages de la médecine d'équipe lui étaient apparus avec évidence pendant la guerre dans les groupes médicaux chirurgicaux et les hôpitaux de campagne. Des médecins travaillant ensemble, cherchant ensemble à débrouiller les cas difficiles, avec des contacts incessants entre toutes les spécialités et mettant en commun un matériel ultra-moderne et coûteux inaccessible au médecin isolé obtenaient des résultats infiniment supérieurs.
Cette médecine de groupe, pluridisciplinaire, qui semble aller de soi aujourd'hui était une révolution à l'époque et Yvan en fut incontestablement le précurseur. Il dirigea la fondation Barth jusqu'en 1973 et passa alors le flambeau à ses fils, tous médecins.
Ayant constaté la difficulté qu'avaient les blessés de guerre à se faire soigner avec leur "carnet de soins gratuits" du fait de la lenteur des remboursements d'honoraires et des tracasseries administratives qui rebutaient les practiciens de ville, il mit la fondation à la disposition de ces malades et blessés de guerre.
Il fut aussi étonné de voir les problèmes qu'avaient ces victimes pour obtenir une indémnisation équitable de leurs infirmités. Connaissant mal leur droits, d'ailleur mal définis, les blessés de guerre n'étaient pas à même de se défendre avec succès face aux médecins experts et à l'administration toute puissante. Il créa aussitôt la "Ligue de défense des Victimes de la guerre" dont il resta Président d'Honneur jusqu'à sa mort.
Il devint Médecin Conseil du journal des mutilés et combatants, de l'association des mutilés des yeux, et de plusieurs autres associations de victimes de guerre. Il examinait les blessés, déterminait leurs droits et les accompagnait devant les médecins experts et la commission de réforme pour défendre leurs droits.
Il écrivit un très grand nombre d'articles relatifs à cette défense et fut à l'origine de la plupart des améliorations qui furent apportées à la loi et au sort des victimes de guerre.
Toujours passionné de médecine sociale, il avait passé de nombreux accords avec les mutuelles et les cliniques privées, permettant ainsi aux "économiquement faibles" d'être soignés dans les meilleures conditions et non pas par "l'assistance publique" dont le nom même évoque une charité de moins en moins facilement supportée. Dès la création des assurances sociales en 1930, il a passé des accords de convention avec elles.
Ayant constaté les conséquences économiques désastreuses qu'entrainait une intervention chirurgicale pour la plupart des malades à cette époque, il créa dès 1936 la première mutuelle chirurgicale de France qui permit aux malades d'être opérés gratuitement en clinique privée par des chirurgiens de tout premier ordre.
Cette mutuelle groupe actuellement plus d'un million d' adhérents et leurs familles. La guerre de 1939 et la défaite de 1940 vinrent malheureusement détruire une partie de ce travail.
Le docteur Yvan Dreyfus s'engagea dans la résistance dès novembre 1940. Il créa avec Fernand Liautey le réseau "Néo-convention des volontaires de la mort", qui organisa le passage de centaines de prisonniers évadés en zone non occupée. Il organisa la fabrication de faux papiers et certificats qui permirent à des centaines de juifs d'échapper à une mort certaine et programmée. Il participa activement à un service de renseignements pour les alliés.
Il fut arrêté le 12 mars 1943 au cours d'une mission. Envoyé à Drancy puis à Beaune la Roland, il fut déporté à Alderney, le seul camp établi dans les îles Anglo Normandes occupées où les déportés construisaient le mur de l'Atlentique.
Sa profession de médecin ainsi que sa parfaite connaissance l'allemand, de l'anglais et du français le rendirent vite indispensable aux allemands qui le nommèrent responsable du camp. Ce poste lui permit de sauver de nombreuses vies humaines dans le camp des polonais. Il fut de ce fait décoré après la guerre par le gouvernement Polonais et par l'Armée Rouge pour services rendus exceptionnels.
Le camp fut évacué en juillet 1944 après le débarquement allié et transféré à Dam Camiers près de Boulogne sur Mer. Au cours d'un bombardement il réussit à faire évader la totalité des déportés du camp soit 120 personnes qui furent cachées par la résistance locale et furent libérées par l'armée canadienne.Il fournit aussi au commandement canadien des renseignements très importants sur les fortifications de Boulogne et l'organisation du système défensif allemand, ce qui lui valut d'être décoré par l'armée Canadienne, l'armée Britanique et l'armée Américaine.
Revenu à Paris il eut la douleur d'apprendre que deux de ses trois fils avaient été déportés pour faits de résistance et que si l'un d'eux avait pu s'évader et était sain et sauf, l'autre, le Docteur Paul Dreyfus avait été déporté à Auschwitz en novembre 1943. Transféré à Gleiwitz puis à Dora-Buchenwald.
Il était mort dans le sinistre tunnel le 15 avril 1945, trois semaines avant la capitulation sans conditions des allemands. Paul laissait deux enfants de un an et demi et six mois. Ces enfants sont actuellement tout deux médecins.
Le Docteur Dreyfus se remit courageusement au travail, il reprit en mains la fondation Barth et en fit le plus grand centre médical de France, groupant quatre-vingt-dix médecins de toute obédience.
Voulant toujours perfectionner la qualité des diagnostics et des soins medicaux, il créa en 1952 avec le concours de la mutualité française le "Centre d'Exploration Fonctionnelle" de la Seine, centre de diagnostics ultra perfectionné réservé aux cas difficiles et complexes, groupant le plateau technique le plus moderne, les appareils les plus récents et les médecins les plus qualifiés dans chaque discipline. Il en fut le premier médecin-chef et le resta jusqu'en 1960.
Il continua son oeuvre de défense des victimes de la guerre s'occupant particulièrement des rescapés des camps de concentration. Il fit reconnaitre la pathologie particulière présentée par les déportés et l'existence d'un syndrôme pschychique, dit syndrôme de Targowla. Il fit admettre l'imputabilité aux séquelles de la déportation de toute infirmitésurvenant chez les survivants des camps de la mort, quelle qu'en soit la date d'apparition.
Il recueillit à son foyer les deux enfants de son fils Paul mort pour la France en déportation et eut la joie d'en faire des médecins continuant la trafition familiale.
Son deuxième fils Charles, devenu chirurgien, continue son oeuvre dans les mutuelles chirurgicales et prit sa suite en 1973 comme Président de la Fondation Barth.
Son troisième fils Bernard, médecin légiste, poursuit son action pour la défense des victimes de la guerre qu'il étendit à la défense des victimes d'accidents du travail et de celles la route.
Le Docteur Yvan Dreyfus est mort le 8 février 1975 après une longue maladie qu'il supporta avec le courage exemplaire dont il avait toujours fait preuve.
Il était Commandeur de la Légion d'Honneur à titre militaire, Commandeur de l'Ordre du Mérite National, médaillé de la Résistance, titulaire de la Croix de Guerre, de la médaille des Evadés, de la médaille des Engagés Volontaires, Officier de la Santé Publique et du Mérite Sportif. Il était également titulaire de nombreuses décorations étrangères; américaines, britaniques, canadiennes, polonaises, russes et autres…
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