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NAUFRAGE SUR LE LEMAN

 

Par ce magnifique jour de fin d'été il aurait été dommage de ne pas profiter du soleil, alors Terry a décidé d'aller faire un tour sur le lac avec son cousin Chlöse (Klaus jr.) et son voilier. Descendus à pied par la vieille ville jusqu'au lac, ils l'ont longé sur la gauche presque jusqu'à la "Perle du Lac", un des restaurants les plus huppés de Genève à l'époque. Cent mètres avant ils ont bifurqué en direction du port de plaisance. Tous les grands et petits bateaux alignés le long des débarcadères avaient très fière allure et resplendissaient de propreté sous le soleil ardent, on voyait de-ci de-là les heureux propriétaires les briquer ou les préparer à sortir en promenade.

Terry, qui avait déjà fait de la voile, (mais était loin d’être experte…) s'est installée au gouvernail pendant que Chlöse déroulait les voiles et préparait les cordages. Comme il y avait une bonne petite brise agréable, la voilure s'est tout de suite gonflée et le voilier a pris son essor au moment ou Chlöse a libéré l'ancre. En quelques minutes il était déjà au milieu de la rade et louvoyait entre les yachts pour sortir du port.

Malgré le soleil il ne faisait pas assez chaud pour se mettre en costume de bain, les deux marins d'eau douce sont donc restés en shorts et T-shirts. Le temps était impeccable et la vue magnifique pendant que le voilier zigzaguait d'un côté de l'autre du lac en direction de Nyon. Déjà au loin, on pouvait apercevoir à gauche sur le promontoire de Versoix, le phare de détresse faire paresseusement ses 10 tours par minute qui signifient : "calme plat, bonne croisière…" Entre les deux marins, la conversation roulait sur les avantages et désavantages des différentes sortes d'embarcations, quand soudain Terry, qui regardait justement en direction du phare, l'a vu accélérer  ses tours a 50 par minute, ce qui veut dire : "vents très forts, navigation déconseillée…"

« Chlöse! » Elle s'est exclamée, le temps se gâte, il faut faire demi-tour et en vitesse!!!

En effet, bien trop pris par leur discussion, ils n'avaient pas remarqué que de gros nuages venaient droit sur eux, que le vent avait déjà forci et que des vagues de plus en plus grosses  faisaient tanguer le voilier d'une façon assez inquiétante… Autour d'eux et à perte de vue ils pouvaient voir tous les autres bateaux qui se dépêchaient de retourner à leur port d'attache.

En vitesse, pendant que Terry poussait le gouvernail de toute ses force pour faire demi-tour, Chlöse ne fit qu'un bond jusqu'à l'avant pour baisser le foc par mesure de sécurité. Ensuite elle lui a laissé la place au gouvernail et s'est assise à bâbord pour surveiller le phare, enfin ils ont commencé la route du retour en louvoyant le plus près possible de la berge du lac. Les voiles claquaient dans le vent comme des coups de fusils à chaque virage et Terry était obligée de se baisser continuellement pour éviter que la barre de la grande voile, qui passait de gauche à droite sans arrêt, ne l’assomme ou l'emporte avec elle…

Ils étaient déjà en vue du port presqu’en face de la "Perle du Lac" lorsqu'elle a vu le phare se mettre à tourner à 100 tours par minute, c'est-à-dire : "tempête dangereuse, tous aux abris immédiatement!!!" Elle n'a eu que le temps de s'exclamer: « CHLOSE! » et s'est retrouvée projetée dans l'eau pendant que l'esquif se retournait et que Chlöse lui passait par-dessus la tête ! Un orage d'une violence extraordinaire venait d'éclater et sa première bourrasque irrésistible s'était engouffrée dans la voilure à moitié baissée avant que Chlöse n’ait le temps de faire quoi que ce soit.

D'énormes grêlons de la grandeur de grandes billes se sont abattus sur le lac au même moment et ont commencés à les bombarder. Les deux pauvres naufragés ont du se servir des rames pour se protéger la tête en attendant que ça se calme, accrochés aux bords de la barque retournée et buvant la tasse dans les immenses vagues déchaînées qui arrivaient  de tous les côtés et s'entrechoquaient comme prises de folie autour d'eux.

Heureusement pour eux, un hors-bord déjà presque arrivé au port d’une villa a fait demi-tour et est venu à la rescousse, ses navigateurs ayant tout vu et décidé de venir les aider malgré le danger. Ça a pris de longues minutes, mais enfin ils ont réussi à redresser le voilier en attachant une corde au bout du mât et en tirant à l'opposé tandis que Chlöse et Terry s'arqueboutaient sur le bordage pour aider. Après avoir regrimpé dedans, Chlöse a pris le gouvernail pendant que Terry attachait la corde du hors-bord à l'avant de l'embarcation, puis les deux naufrages ont été remorqués vers le port où ils ont pris chaudement congé de leurs sauveteurs.

Quel soulagement d'être enfin sur la terre ferme, mais n'empêche que nos deux loulous étaient trempés comme des soupes et gelés jusqu'à la moelle des os, la température de l'eau n’était encore qu’à 18 degrés et hors de l'eau le vent avait littéralement glacé nos deux canards mouillés.

Pendant ce temps là, le personnel de la "Perle du Lac", qui avait suivi toutes les aventures de nos deux naufragés, avait décidé de faire une bonne action et leur chef est venu en personne insister pour qu’ils viennent se réchauffer dans le restaurant!

Maintenant, essayez d'imaginer la suite…..

Vous n'y arrivez pas?

Alors voilà! Les choses se sont passées ainsi:

Deux individus pour le moins bizarres, la mine d’une couleur étrangement bleutée, tremblants de tous leur membres, dégoulinants, boueux, habillés comme des clochards et les cheveux raides comme des queues de souris dressées sur la tête, assis sur une magnifique banquette recouverte de velours bleu à côté d'une table recouverte d'une nappe étincelante de blancheur, de vaisselle en porcelaine et de couverts en argent, en train de boire avec délectation un bol de soupe brûlante après l'autre… Tout ça au milieu de dizaines de clients chaqu'un plus élégant que l'autre qui ne pouvaient en croire leurs yeux et demandaient avec très grande discrétion à leur serveur si ces deux clowns étaient un divertissement prévu pendant le repas…

Après s'être remplis de soupe à en éclater, Terry et Chlöse se sont regardés et ayant réalisé le comique de la situation…… ont éclaté d'un immense fou rire sous les applaudissements des clients qui avaient entre temps enfin compris de quoi il s'agissait! Le responsable  de la salle à manger leur ayant commandé un taxi, nos deux rigolos sont partis, non sans avoir vivement  remercié tous ces gens formidables qui avaient absolument refusés d'être payés pour les litres de soupe avalés !

Arrivés à la maison, de nouveau secoués de rires après avoir vu la tête du chauffeur de taxi découvrant ses sièges trempés, ils ont trouvé la maison vide et ça a été la bagarre pour savoir qui sera le premier à prendre un bon bain chaud… naturellement c'est Terry qui a gagné car Chlöse était un bien trop parfait gentleman pour la laisser grelotter pendant qu'il se réchauffait dans le bain!

Enfin assis au salon, réchauffés mais encore surexcités, ils ont bavardé, buvant un chocolat chaud et attendant Mamy, Nénand et Yves avec grande impatience pour leur raconter toute leur aventure. Il était déjà six heures passées et Terry commençait à se faire des soucis lorsque les deux premiers sont arrivés. Comme d'habitude le samedi, Nénand avait voulu faire un tour dans les fermes en Gruyère et Mamy l'avait accompagné comme toujours. L'orage les avait surpris sur le chemin du retour et les énormes grêlons avaient fracassé le pare-brise avant de la voiture ce qui fait qu'ils avaient du aller le faire réparer dans un garage avant de continuer la route!

Ils étaient donc quatre maintenant dans le salon, à rire et se re-raconter pour la énième fois leurs histoires, mais le dernier manquait toujours… Yves était parti en excursion avec les louveteaux (jeunes éclaireurs) et aurait dû arriver par le train des heures auparavant. Mamy et lui s'étaient mis d'accord pour qu'il téléphone dès son arrivée et que Nénand aille le chercher. Il était près de minuit et Mamy venait de téléphoner pour la centième fois aux renseignements de la gare quand Yves a débarqué à la maison. Lui aussi avait plein  d'aventures à raconter, ce qu'il a fait même avant d'avoir pris sa douche… L'incroyable violence de la tempête avait déracinés de nombreux arbres qui étaient tombés sur les voies du chemin de fer et les avaient totalement bloquées pendant des heures !

Le lendemain ils ont appris par la radio que cette tempête avait été une des plus violentes s'étant abattue sur la région depuis plusieurs dizaines d’années, du vrai "jamais vu". Elle avait fait pour des millions de francs de dégâts et plusieurs personnes y avaient trouvé la mort, la plupart sur la route mais aussi trois dans le lac, leur bateau de plaisance ayant été retourné par le vent ils s'étaient noyés avant que les secours arrivent.

Conclusion: même par très beaux jours d'été n'oubliez jamais qu'en un clin d'oeil le vent peut tourner…

Deuxième conclusion: (ou ça devrait plutôt être la première…) on a tous eu énormément de chance, merci au destin.

 

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